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Les femmes et le crowdfunding, place et performances

Voici la traduction en français de mon intervention lors du webinaire « La place et les performances des femmes dans le crowdfunding » qui s’est tenu dans le cadre de « Novembre numérique » organisé par l’Institut Français de Norvège.

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D’une part je vous donnerai mon propre retour d’expérience depuis 2014 ; d’autre part j’ai demandé à plusieurs plateformes leurs données et je remercie celle qui m’ont confié leurs données, notamment Ulule qui a fait un gros travail de collecte. Je n’ai pas interrogé les plateformes spécialisées dans l’immobilier ou le crowdlending (c’est-à-dire le prêt) et je n’ai pas de données sur l’equity crowdfunding (ou participation au capital), bien que nous travaillions avec les deux, car le temps me manquait.Donc la plupart de mes commentaires aujourd’hui proviennent du modèle « don contre contreparties ».

1. Quelles sont les spécificités des femmes créatrices de campagnes ? Y a-t-il une spécificité des projets artistiques ?

Il faut commencer par dire que les plateformes ne font pas de statistiques directement sur le genre des porteurs de projets ou des contributeurs. Elles étudient les prénoms ou font des recoupements. Nous avons donc des données à manier avec précaution.

Sur KissKissBankBank, environ la moitié des 26 000 projets ont été initiés par des femmes ; il y a donc parité. On retrouve la même proportion dans les projets artistiques et culturels.Sur Ulule les femmes représentaient 50% des porteurs selon le rapport d’impact 2018 et la tendance se poursuit.Cependant, en France en 2021, il y a 32,3% de femmes entrepreneures selon Infogreffe.J’en conclus que les femmes entrepreneures sont surreprésentées dans le crowdfunding mais attention, tous les projets des femmes ne sont pas liés à une entreprise. D’autre part je n’ai pas eu accès à des données spécifiques sur les projets culturels et artistiques.

Concernant la deuxième partie de la question, je voudrais dire un mot sur le modèle culturel français.

La première plateforme – qui existe encore aujourd’hui – date de 2009. Il existe 67 plateformes de crowdfunding en France en 2022, ce qui représente un pourcentage important des 280 plateformes recensées en Europe. Cela est probablement dû à un modèle culturel et un contexte économique particuliers.Nous parlons ici de ce que l’on appelle « l’exception culturelle française ». Il s’agit d’un ensemble de mesures de politique publique et de législations qui régulent le domaine culturel et donc les industries culturelles et créatives. Ce modèle comporte quelques grands principes qui incluent des acteurs tels que le Centre national du livre ou le Centre national de la cinématographie ou le ministère de la Culture.Toutes ces mesures ont amené les Français à voir la culture comme un territoire à part, protégé et qui n’est pas forcément de nature commerciale. Nous pouvons retrouver cette perception dans le crowdfunding.

D’autre part le modèle culturel français permet une meilleure sélection des projets en amont, avant leur mise en ligne, par rapport au modèle anglo-saxon sur Indiegogo ou Kickstarter par exemple.
De plus les plateformes ont d’abord communiqué sur les valeurs partagées avec le public comme la solidarité, le partage, la transparence, etc…
En France nous avons un mot spécifique pour les donateurs des grandes plateformes : par exemple les donateurs d’Ulule sont les Ululeurs et ceux de KKBB sont les Kissbankeurs. C’est une façon de créer une communauté engagée à travers le langage. On peut le voir sur @twitter : @kisskissbankbank n’existe pas mais @kissbankers existe. Nous savons aujourd’hui en marketing, par exemple, comment le langage est une véritable arme commerciale.

Enfin, concernant le contexte économique, le nouveau règlement sur le crowdfunding de novembre 2021 vise une harmonisation européenne, sauf pour les dons et les particuliers.Dans ma pratique professionnelle au sein de l’agence je constate que les femmes ne sont plus cantonnées aux secteurs dits « féminins » comme le soin, la santé, l’éducation… Nous avons soutenu des projets ambitieux portés par une femme ou un duo femme/homme autour de la technologie ou du sport par exemple.
De l’avis des plateformes, les femmes sont généralement moins ambitieuses dans les montants qu’elles demandent, et parfois dans la reconnaissance sociale de leur projet, c’est-à-dire que leurs projets sont moins « clinquants », il y a moins de storytelling autour. Parfois gérer une campagne plus un travail plus une famille est très difficile si l’entourage ne vous aide pas – comme la famille, le conjoint, les amis proches.

Si je devais décrire les forces des femmes crowdfunders, ce serait la façon dont elles abordent leur réseau. Je veux dire qu’en général elles n’ont pas peur d’aller vers leur cercle de contacts, de mettre en avant leur projet et de se battre pour lui. Elles utilisent naturellement les réseaux sociaux comme des outils conversationnels (comme Facebook par exemple) et vont donc « jouer le jeu » du partage plus facilement, ce qui est une base de la communication.
N’oublions pas qu’une campagne de crowdfunding réussie contribue non seulement au développement professionnel mais aussi à l’épanouissement personnel.
Il existe souvent des barrières psychologiques qui entrent en jeu dans une campagne – par exemple la peur de l’échec, le jugement des autres, la peur de se faire voler son idée, etc. Ces barrières sont souvent très importantes pour les femmes, surtout si elles ne sont pas encore des femmes d’affaires habituées à naviguer dans cet environnement. Le crowdfunding apparaît souvent comme une porte d’entrée plus accessible pour leur projet, voire pour une nouvelle vie.

2. Le crowdfunding est-il un moyen pour les créatrices (encore plus que pour les hommes) d’accéder à des financements sans passer par le système de financement traditionnel ?

Clairement, oui. Le problème est plutôt d’être prise au sérieux en tant que femme entrepreneure : il faut constamment démontrer son professionnalisme, sa détermination, et que l’on n’a pas forcément besoin d’aide. On appelle cela « le syndrome du chevalier à la rescousse ». C’est très courant et il s’agit clairement de préjugés et de stéréotypes sexistes.

En France, les femmes créent des entreprises plus petites, avec un chiffre d’affaires plus faible, un taux de croissance plus faible et un niveau d’investissement plus faible. Elles détiennent moins de liquidités et savent gérer leur entreprise car elles sont prudentes et économes. Elles ont le sens de l’épargne et préfèrent emprunter peu. Donc logiquement, les banques s’intéressent moins à elles.
Pour elles le crowdfunding peut être une très bonne solution. N’oublions pas qu’une campagne réussie permet souvent de trouver ensuite un financement traditionnel, dans une banque par exemple, car le succès de la campagne prouve que vous avez un marché, des clients potentiels, et que vous savez communiquer sur votre produit ou service.

Y a-t-il une différence dans le type de projets, d’ambition ou d’organisation avec les femmes créatrices ?

En général les femmes ont un réseau professionnel moins étendu que les hommes. Elles l’utilisent souvent comme une source d’inspiration, un modèle à suivre. Leur réseau est plus informel et elles considèrent leur famille et leurs proches (conjoint, amis, collègues) comme leur principal atout. C’est exactement ce qu’on appelle en communication « le premier cercle » et c’est parfait pour lancer une campagne de crowdfunding.À l’inverse, les hommes ont tendance à considérer les relations professionnelles comme des atouts – avocats, banquiers, comptables, etc. Ils sont plus pratiques, recherchent le contact et l’expérience.
Par conséquent, les réseaux d’affaires sont plus accessibles aux hommes en raison des postes qu’ils occupaient avant de lancer leur projet.

Cependant les femmes sont globalement en phase avec les pratiques du crowdfunding : elles font preuve de leadership, leur gestion est horizontale, participative, plutôt démocratique, interactive et ouverte. Elles développent une relation de qualité avec leurs équipes et leurs réseaux, et apportent une dimension plus humaine et sociale à leur projet.
De plus, une campagne de crowdfunding demande beaucoup d’organisation et les femmes peuvent être très organisées car elles sont souvent habituées à gérer « deux vies ».

Qu’en est-il des femmes qui soutiennent le projet ? Se comportent-elles différemment des hommes en termes de montant ou de durée des dons ? 

Si les porteurs de projets sont généralement jeunes (46% ont moins de 30 ans), les contributeurs sont plus âgés (39% ont plus de 50 ans). Ceux qui reviennent sont souvent fidèles à l’univers de la plateforme, ils aiment et recherchent certaines catégories de projets, ils ont le sentiment de faire partie d’une communauté. Ce point est très important pour les femmes.
Les femmes sont souvent à l’aise avec le crowdfunding car elles n’ont pas peur de demander de l’aide publiquement. Les hommes sont parfois moins à l’aise, ce n’est pas forcément dans leur éducation, dans les règles habituelles de la société.

En 2018 les femmes ont été plus nombreuses que les hommes à contribuer. Par exemple sur la plateforme Ulule, 56% des contributeurs étaient des femmes. Puis la tendance a changé : entre 2020 et 2022, nous étions plutôt sur 49% d’hommes et 51% de femmes.

La crise de 2020 a changé la donne. Globalement, de nombreuses plateformes françaises ont été rachetées par d’autres, il y a eu de nombreuses concentrations de plateformes.
En 2020 la crise sanitaire a contraint les contributeurs à activer les mécanismes de coopération et d’entraide en soutenant massivement les actions de solidarité et les activités mises en péril.
En France, le secteur du don a presque été multiplié par trois entre 2019 et 2020. En comparaison, le secteur des prêts et investissements, moins solidaire, n’a été multiplié que par 1,4.
Au total sur l’année 2020 (selon le cabinet Mazars) le secteur du financement participatif en France a dépassé le milliard d’euros de financement.

Conclusion

Selon moi le crowdfunding n’est pas un agent révolutionnaire pour les femmes dans l’économie mais plutôt un facilitateur.
Ce constat est à double tranchant : d’une part, le crowdfunding permet aux femmes d’activer leur réseau, d’avoir une visibilité, et leur donne confiance en elles. D’autre part le crowdfunding, tant pour les hommes que pour les femmes, tend à remplacer la finance traditionnelle qui prend de moins en moins de risques, notamment pour les entreprises qui « gagnent » peu. Or ce sont ces mêmes entreprises à forte valeur humaine qui constituent la majorité des créations d’entreprises dirigées par des femmes.

Il me semble donc très important de mettre en perspective la contribution du crowdfunding à l’économie générale et de le considérer comme un élément, évidemment important, des tendances globales.

Cécilia Adam | photo Ann H

Sources :

https://www.dynamique-mag.com/article/entrepreneures-defiet-reussite.32661

https://www.infogreffe.fr/actus102022-barom%25c3%25a8tre-infogreffe-les-femmes-et-l-entrepreneuriat-en-2021

https://bpifrance-creation.fr/institutionnel/place-femmes-paysage-creation-dentreprise

https://www.generali.fr/professionnel/actu/chiffres-encourageants-entrepreneuriat-feminin/